S’alimenter va représenter un réel défi pour plus de 50 millions de personnes durant la période de soudure, l’été prochain. C’est la conclusion de la dernière enquête menée par une dizaine d’agences de l’ONU et d’organisations non-gouvernementales dans dix-sept pays.
Menée en coordination avec les gouvernements et la CEDEAO, cette enquête inclut le Sénégal, le Burkina Faso, le Mali, le Niger, mais aussi le Cameroun et le Nigeria.
Dans cette vaste zone, 52 millions de personnes auront du mal à se nourrir pendant la période de soudure, c’est-à-dire dans l’intervalle entre deux récoltes qui s’étend de juin à août.
Cela représente 4 millions de personnes supplémentaires par rapport à la même période l’année dernière.
Dans le détail, 12% de la population, soit une personne sur dix, auront des difficultés pour accéder à des aliments salubres et nutritifs en Afrique de l’Ouest et centrale au cours de cette période, d’après les projections réalisées par une dizaine d’organisations dont l’Unicef et Oxfam.
Au Nigeria, cette insécurité alimentaire pourrait toucher 16% de la population, soit 30 millions de personnes. Au Tchad et en Sierra Leone, jusqu’à 20% de la population pourrait être concernée.
Dans la région de Ménaka, dans le nord du Mali, plusieurs milliers de personnes risquent de souffrir d’une « faim catastrophique » d’après l’enquête, ce qui correspond au niveau d’insécurité alimentaire le plus grave.
Excepté en Guinée, au Bénin, au Ghana et en Côte d’Ivoire, l’insécurité alimentaire va s’aggraver dans tous les pays étudiés au cours des prochains mois.
En l’espace de cinq ans, le nombre de personnes en situation d’insécurité alimentaire a été multiplié par quatre en Afrique de l’Ouest et centrale, pointe le Programme alimentaire mondial.
Les enfants de moins de 5 ans en sont les premières victimes. Près de 17 millions d’entre eux souffrent de malnutrition aiguë, un chiffre sans précédent.
Plusieurs facteurs permettent d’expliquer cette aggravation de l’insécurité alimentaire. Les conflits armés entravent les activités agricoles tandis que le changement climatique affecte les rendements.
Sadou Soumana, conseiller technique en sécurité alimentaire et moyens de subsistance à l’International Rescue Committee, une ONG américaine qui a participé à la dernière enquête explique :
« Quand les conflits arrivent, ça détruit les vies mais aussi, ça détruit les moyens de subsistance et ça occasionne des millions de déplacés. Ce sont principalement les agro-pasteurs qui laissent tout derrière eux. Ils sont appelés d’abord à dépendre de l’aide, y compris alimentaire. En plus, les champs ne sont plus exploités, ce qui affecte directement le niveau de la production agricole. On sait aussi que les troupeaux sont décimés. Donc ça affecte directement les principaux moyens de subsistance des éleveurs. C’est ce qui fait que les conflits jouent un rôle déterminant dans l’insécurité alimentaire.
L’enquête à laquelle votre ONG a participé pointe aussi la responsabilité du changement climatique dans l’aggravation de cette insécurité alimentaire, avec des périodes de sécheresse prolongées et des inondations…
En Afrique de l’Ouest, la sécurité alimentaire et les moyens de subsistance reposent traditionnellement sur l’agriculture pluviale. Dans tous les pays du Sahel, 80% des ménages dépendent principalement de la nourriture pluviale. Le changement climatique, à travers l’augmentation de certaines fréquences de chocs, tels que les sécheresses, les inondations ou les ennemis des cultures, constitue un des accélérateurs de la dégradation des écosystèmes, y compris les exploitations agricoles. Donc, à travers ces différents effets du changement climatique, il y a des déficits céréaliers qui sont observés au niveau de la zone chaque année. Le changement climatique, la sécheresse accélèrent aussi la pauvreté des sols, ce qui affecte le niveau de rendements au niveau de la zone.
Face à cette crise, où en est le financement de la réponse humanitaire aujourd’hui ?
C’est un aspect fondamental. Ce que nous avons constaté, c’est que le plan de réponse humanitaire est chroniquement sous-financé. Actuellement, 10% du plan est financé au niveau de l’Afrique centrale. Il reste 90% à financer. L’année n’est pas encore finie, mais la progression est extrêmement lente. D’où la nécessité d’une action plus collective, plus importante, pour adresser la question de l’insécurité alimentaire et nutritionnelle, avec des financements soutenus, en collaboration avec les États concernés et surtout les acteurs locaux ».